La mort encore, elle me hante avec stupeur et frayeur. Je la sens en moi, bête immonde, hostile, étrangère à la moindre parcelle de moi. Moi, dont toutes les fibres aspirent à la vie. Je rêve alors, je rêve d'amour et de beaux paysages. Je m'efforce tant de connaître la douceur de vivre, je la cherche de tout mon esprit, j'y aspire de tout mon corps. Je voudrais de l'amour infini, prodigieux, mais je n'en aurai pas. Il ne faut rien espérer, ne rien attendre de l'existence pour mieux survivre, sinon je me déchire à l'inexplicable, l'ennui, à la ville sans fin en plein coeur de l'été, alors que je rêve aux feuillages, aux eaux, aux brises tendres et lumineuses, aux odeurs pures des petits matins quand la fenêtre s'ouvre sur une clairière frondeuse. Tout un paysage m'appelle, de montagnes espacées, de lacs vifs, de conifères attendris, où le temps n'aurait plus de charge, dilué par l'espace sans nombre. Et moi, arpentant de l'oeil la souple clarté, je serais comme lavée du dedans de ma maladie, assoupie dans les propos réconfortants du vent. Mais je devrais ne rien espérer, vivre sans demander autre chose qu'être là, la mort est à mes côtés. En fait j'espère malgré tout, inutilement, quelque chose qui n'aura pas lieu. Un événement très doux, très fou aussi, révélant une partie de l'existence que j'ignore, n'aura pas lieu. Aucune coïncidence ne me guette, mon chemin est lisse et brûlé. Les jours sont lourds, vastes et belles sont les nuits. Ici la mort gagne, pouce par pouce, son terrain silicieux. Elle est la plus forte. Je m'arc-boute, mais elle peut tout et je ne suis rien. Je la sens qui ravage mon souffle et ma gorge, mon coeur aussi est solitaire et clos, même l'amitié n'arrive plus à lui faire croire en son destin. Même la poésie... Aucun signe ne vient transfigurer l'existence, apaiser la nausée, qui me ferait dire: oui c'est possible, une certaine fébrilité créatrice existe qui nous emporte à la rencontre et à la réalisation de nous-même.

- Marie Uguay